Souvent un regard en dit plus long que tous les mots du monde…
Photographier les autres peut paraître anodin tant l’image a envahie notre environnement. Ces gens, voisins ou lointains étrangers, parlent à notre cœur parce qu’ils sont, à divers égards, des images de nous-mêmes.
Un récent voyage au Rajasthan m’a permis de réaliser, à quel point le portrait était un élément essentiel dans notre quête de photographe.
Vivre cet effort embarrassé qui nous pousse à vaincre une certaine retenue à l’égard de l’inconnu, n’aura pas été vain…
Le plaisir aura été à la hauteur de mes attentes puisque l’occasion de réaliser de nombreux portraits aussi variés que colorés m’aura été offerte quotidiennement au hasard des rencontres. Témoignage d’un lieu et d’une époque, pour réaliser chaque portrait je me suis surpris à vaincre cette timidité que j’avais à croiser, l’œil dans le viseur, le regard de celles et ceux qui étaient devenus mes« cibles ».
Le sujet n’étant pas proprement technique, je préciserai simplement avoir utilisé une optique unique SIGMA 70-200 lumineuse ouvrant à f :2,8, me permettant ainsi de pouvoir continuer à photographier jusqu’au coucher du soleil sans flash, et surtout de garder le plus souvent possible une ouverture importante (le plus souvent entre 2,8 et 4,5). La qualité des fonds et parfois de ce « bokeh soyeux », permettant de bien faire ressortir le sujet en premier plan.
Après quelques essais techniques sur tous les membres de ma famille, je pouvais réfléchir à la manière dont j’allais m’y prendre pour réaliser ces portraits sur le terrain. Photographier les gens sur un marché en Inde est bien différent de photographier un couple qui s’embrasse sur le Rialto de Venise…
Mes souvenirs d’un premier voyage, alors adolescent acnéique type « Hendrix Peace and Love » sur les ghats de Varanasi, me revenaient à l’esprit. Lorsque je feuillette aujourd’hui l’album photo de l’époque, outre une multitude de bons souvenirs, je réalise à quel point il manque de l’humain dans ces photos. Pas de regard croisé, de langage émotionnel qui se passe de mots, bref rien de ce que pour quoi la photographie de voyage et de découverte d’un peuple est faite.…Malgré tous mes efforts, je n’avais pu ramener que de piètres clichés (argentiques bien sûr !) d’ensemble, sortis de mon premier boîtier, un Praktica LTL de 1974 (Deutsch Qualität), équipé d’un Pentacon 50mm f :1,8 à monture 42mm vis.
J’étais bien décidé cette fois-ci à franchir le Rubicon, en allant au plus près des gens et surtout en cherchant à croiser leur regard.
Photographier sans déranger et sans offenser, est une règle que je m’astreins à respecter et qui est sans doute un sésame dans la réussite des portraits en extérieur.
Photographier la misère et la souffrance ne m’a jamais intéressé en tant que photographe amateur. Un peu facile de tirer sur la fibre sensible des gens par des clichés de SDF sous les ponts de Paris, ou de misérables estropiés sur les trottoirs de Dehli… Si cela peut se comprendre pour un reportage professionnel sur le sujet, c’est avec un état d’esprit et une vision bien différente que je suis retourné dans ce pays unique et très photogénique qu’est l’Inde.
Au travers les différentes réactions des gens que j’ai pu photographier, il me semble qu’il faut garder à l’esprit que si la situation est claire pour nous en tant que photographes, elle peut ne pas l’être pour celle ou celui de l’autre côté de l’objectif. Que peut bien se dire une femme sur le marché d’Agadir, un brahmane dans les rues de Calcutta, un soudeur de Gdansk ou encore la démonstratrice de chez Moulinex sur le trottoir des Galeries Lafayette, lorsqu’ils subissent brutalement l’incursion d’un objectif sous leur nez.
En dehors de la nature, du caractère et du contexte de la rencontre des personnages, il me semble avoir remarqué qu’il était possible de distinguer trois types de situation pour lesquelles l’attitude a adopter pourra varier quelque peu.
1/ Les portraits d’enfants :
Seuls ou avec leurs copains, je n’ai personnellement jamais rencontré de difficulté ni de réticence à les photographier. Une phase d’observation, quelques sourires, éventuellement quelques petits clins d’œil suffisent en général à attirer leur attention et à créer une relation de confiance. Le plus souvent (et c’est toujours le cas en Inde), ils ne désirent qu’une chose ; visualiser la photo sur l’écran du boîtier !
Comme chez nous où certains enfants sont exploités par leurs ainés à faire « la manche », vous pourrez toujours tomber sur celui qui ne vous lâchera pas tant qu’il n’aura pas eu sa pièce ou son stylo. Le risque étant pour celui qui lui cédera, que tous les copains risqueront de rappliquer, et là ; adieu les photos…
Accompagnés de leurs parents, les choses se compliquent. Outre les problèmes de droits des personnes (mais ceci pourrait faire l’objet d’un autre article), il faudra également tenir compte du respect de l’intimité de l’enfant et de celui de la famille. Cette prudence, pour ne pas dire cette distance à conserver, sera d’autant plus marquée que l’on sera dans un pays ou le pouvoir juridique et la législation seront développés. Il faudra donc le plus souvent « briser la glace », et s’avancer vers les parents pour leur expliquer notre intention de photographe à immortaliser leur progéniture. L’enthousiasme doit prévaloir à notre demande et ne pas hésiter à leur proposer une photo de famille, où les deux parents seront mis en valeur avec leur enfant. Souvent cette solution se solde par un échange d’adresse mail et l’envoi des clichés au retour à Paris.
En demandant l’autorisation aux parents, parfois même d’un simple signe de la main, il m’est rarement arrivé d’essuyer un refus, et l’on est même souvent surpris par la réponse des parents qui prennent spontanément la pose avec le petit (comme souvent, encore une fois, en Inde).
Il est important de jouer la carte de la sincérité et de bien leur faire comprendre en quelques mots notre passion pour la photo tout en rassurant les gens à propos d’une éventuelle publication sur les réseaux sociaux, qui bien sur ne devra jamais se faire…
A ma surprise, j’ai pu constater qu’en Inde, les gens adorent se faire photographier par et avec des inconnus ; ce qui facilite grandement notre travail…
2/ Les portraits d’adultes :
L’infini variété des environnements et des gens rencontrés est une véritable opportunité dans la composition du portrait en extérieur. Les arrière-plans, notamment, sont autrement plus diversifiés que dans un studio.
Comme bien souvent en photographie, il faut anticiper sur le résultat que l’on souhaite obtenir en paramétrant au mieux le triangle d’exposition du boîtier, avant même d’arriver sur site. Pendant ce voyage où la luminosité a toujours été bonne, j’ai choisi de travailler avec une sensibilité relativement basse, autour de 250 ISO. Le Mode priorité au diaphragme « A » (Av chez Canon) m’a permis de traduire rapidement sur l’image, la place et l’importance que je donnais à mon sujet dans son environnement. Si je croisais une femme en sari ou un homme enturbanné au bord de la route ou dans une rue avec un fond relativement neutre, alors je choisissais une ouverture importante afin d’obtenir un joli bokeh. Cette valeur, en général supérieure d’un ou deux « crans » au dessus de l’ouverture maximum (soit autour de 3,5), me permettait d’obtenir le piqué maximum de mon objectif, tout en préservant la qualité du fond.
Si au contraire, l’environnement comptait autant que le personnage, alors je fermais davantage le diaphragme pour obtenir une profondeur de champs plus importante, comme par exemple ces vendeurs sur le marché (je voulais que les fruits et légumes soient nets tout autour d’eux), ou encore ce groupe de femmes attendant le bus (je les voulais toutes nettes).
Dans la prise de vue des adultes, je ferais volontiers la distinction à propos de l’environnement professionnel ou non qui entoure le sujet. J’ai en effet remarqué que de « tirer le portrait » d’un quidam en pleine activité professionnelle ne posait quasiment jamais de problème, comme si chaque sujet éprouvait une certaine fierté à mettre en avant son savoir faire. C’est même souvent l’occasion de créer un contact et parfois même d’engager une conversation…Pour l’adulte sorti de son contexte professionnel, les choses vont différemment et il faut s’imaginer le ressenti de chacun face à l’objectif.
Fonction des personnalités, des modes de vies, des différences cultuelles et culturelles, les réponses pourront être différentes, du « qu’est-ce que j’y gagne? » au « est-ce que cela peut me nuire? »…
A moins de faire des prise de vues à distance avec une focale relativement longue (supérieure à 200mm), ce qui est tout à fait illusoire dans un pays comme l’Inde où les gens grouillent de partout, coupant sans cesse votre champs de visée ; il faudra parvenir à vaincre sa timidité en se rapprochant du sujet. Par nature, l’inconnu nous inspire à la prudence et c’est justement ce sentiment de discrétion, pour ne pas dire de retrait qu’il nous faut combattre lorsque nous mettons en visée un sujet.
Chose curieuse, j’ai pu remarqué que les jours passants, dans ce pays où tout est si différent, il me devenait de plus en plus facile de photographier les gens. Je réalisais en fin de séjour que j’aurais probablement pu faire davantage de portraits les premiers jours, alors que je n’avais pas encore saisi l’atmosphère et l’état d’esprit des gens qui m’entouraient…
Lorsque le contact ne pouvait être évité, la meilleure façon de se fondre dans la normalité a toujours été de jouer sur la sincérité de ma démarche. J’utilisais alors presque toujours le même discours, en insistant sur ma passion pour la photo et surtout en rassurant les gens que je ne publierai pas leur photo sur les réseaux sociaux et n’en ferai aucun commerce. C’est bien souvent à ce moment là que l’on me demandait de voir le résultat sur l’écran du boîtier et que parfois même il m’a été demandé d’expédier par mail la photo !
Jouez sur votre enthousiasme et insistez sur la beauté d’un lieu ou d’une tenue pour justifier votre incursion photographique…
3 / Les portraits de personnes âgées :
Si j’ai choisi de les mettre à part, c’est bien que mes rapports avec eux ont été différents dans la majorité des cas.
Les cheveux blancs et la barbe blanche inspirent toujours une certaine sagesse quel que soit le lieu, la culture et la religion.
Mais il est probable que notre attitude de photographe leur inspire également un vécu différent, puisque je n’ai pas souvenir avoir été sollicité par un sujet à la barbe blanche (une « gueule », comme disent souvent les photographes !) dans le but de lui donner une quelconque rémunération. C’est même bien souvent le contraire qui s’est produit avec une réelle demande à être immortaliser à la simple vue de mon appareil autour du cou !
La peau burinée, les rides profondes et les traits bien marqués sont autant de caractéristiques qui n’échappent pas à l’œil du photographe. Si l’on rajoute à cela des turbans multicolores, une belle barbe blanche et un sourire plus que généreux, alors la coupe est pleine et l’obturateur ne s’arrête plus de fonctionner…
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Bien sur on pourra ensuite réfléchir à l’éternelle controverse qui oppose la photo posée et celle prise sur le vif. Personnellement je suis convaincu qu’il existe un intermédiaire, une photo posée (où le sujet est simplement informé que vous le photographiez) qui parvient à donner une impression de pris sur le vif. Pour cela il suffira le plus souvent de faire une première série « d’habituation » pour le sujet, puis de laisser passer quelques secondes avant de reprendre une série, le sujet se sentant alors plus détendu et moins attiré par la lentille frontale de notre objectif.
Pendant des années, tout le monde a ainsi cru que le célèbre « Baiser de l’hôtel de ville » de Robert Doisneau était un instantané pris sur le vif. Nous savons maintenant, avec certitude, que ce chef d’œuvre de la photographie a été mis en scène par le photographe demandant à plusieurs reprises aux modèles de passer devant une terrasse de café en s’embrassant, jusqu’à obtenir l’image que l’on connaît.
Chaque photo est un mensonge et, si la photo est forte, ce mensonge devient réalité…
Outre la controverse photo posée / photo prise sur le vif, existe aussi la discussion sur la direction du regard ; vers l’objectif ou détourné de lui.
Là encore il n’existe pas de réponse nette et précise ; ça peut être du gout de chacun. Personnellement je procède toujours à peu près de la même manière lorsque je ne peux pas demander l’avis du sujet. Je commence par trouver le meilleur angle, celui qui me permettra d’obtenir la meilleure exposition et surtout le plus beau fond, faisant ainsi ressortir mon sujet.
Puis je commence à déclencher plusieurs fois (merci le numérique) à différentes focales et différents cadrages (en pieds, mi-cuisses, mi-bras… )
http://www.emmanuel-orain.com/site/un-portrait-de-plein-pied/
, afin « d’assurer » quelques images, exactement comme on le fait en macrophotographie lors de l’approche d’un papillon. Je répète éventuellement la scène jusqu’à croiser le regard du sujet, et là ; petite poussée d’adrénaline le temps de déclencher encore une ou deux fois pour saisir les différentes expressions du visage.
Dans l’immense majorité des cas l’opération se fait sans problème, mais si tel n’était pas le cas, alors il suffirait de faire signe de bonne volonté et de respect en s’effaçant discrètement et rapidement.
D’approcher les autres via la photographie est très souvent source de bonheur et de plaisir. La rencontre de l’autre, même si elle débute au travers de l’objectif, débouche toujours sur un enrichissement de soi. Le photographe est curieux, sa passion le pousse à la découverte…
Même si le photographe débute sa journée en sachant qu’il va faire des photos, pour autant, le hasard (si tant est qu’il existe…), fera de lui un homme ou une femme heureux d’avoir immortaliser une « tranche de vie », construite sur un regard empathique ou le sourire d’un enfant.
Quelques petits conseils :
- Si vous vous rendez à l’étranger, pensez à emmener vos factures (ou copies) de boîtier ou d’objectif, et ceci est d’autant plus vrai qu’il s’agit de matériel récent.
- Souvenez vous que de connaître quelques mots de la langue du pays est toujours bien perçu par le sujet que vous photographiez.
- C’est au photographe d’établir le premier contact, soit verbal, soit gestuel. Vous serez souvent surpris de la réponse.
- Réfléchissez (avant de partir si possible), aux sujets marquants du pays que vous visitez. Paysages, architecture, tenues, bijoux, animaux,…