Le Noir et Blanc, pourquoi on l’aime?

Le Noir et Blanc : pourquoi on l’aime ?

Noir et blanc ou couleur ? Un débat qui perdure depuis toujours…

Argentique ou numérique, rien n’y fait ; les photographes se posent toujours la même question.
A-t-on jamais opposé les dessins et gravures aux peintures, la sculpture sur bois à celle en bronze, ou encore le violon électrique à un Stradivarius ?

Alors pourquoi ce procès du noir et blanc et de la couleur ?
Peut-être au départ parce que les deux résultats partent d’une même méthode créative, celle qui passe par le film ou le capteur, par la chambre noire ou le logiciel informatique.

Il ne s’agit donc pas de savoir si une méthode est plus technique ou artistique que l’autre, mais bien de comprendre pourquoi notre choix se fera vers l’une plutôt que l’autre.

Il est dans la nature humaine de s’entourer de ceux que l’on aime, et de partager notre temps dans un environnement dont on connaît les limites. Les références au passé sont rassurantes, elles font partie du vécu dont on possède la trace et la certitude. Se projeter dans l’avenir est plus incertain et engendre un inconfort qui finit toujours par nous ramener dans la réalité du présent.

Lorsque les premières émulsions argentiques ont commencées à être utilisées par les photographes, les grains de bromure d’argent qui avaient reçus la lumière viraient au noir, alors que ceux qui en avaient été privés restaient blancs. La proportion de grains « exposés » par unité de surface créait la densité des gris de l’image négative ainsi obtenue, sur une plaque de verre ou un film celluloïd.

Il y a donc dans notre intérêt pour le noir et blanc une forme d’attachement à notre passé, voire de nostalgie. Le noir et blanc existe depuis les premières heures de la photographie, sa réalité épurée est ressentie de tous. Le noir et blanc est réconfortant puisqu’il nous renvoie aux racines de la méthode, sans lesquelles aucun grand nom de la photographie n’aurait pu traverser le temps. Le noir et blanc nous rattache à la tradition (si elle a traversé tant de décennies, c’est qu’elle est « bonne »…), celle que par respect pour les ancêtres, on entretient en continuant de publier et de rééditer de multiples ouvrages faisant référence au passé monochrome de la photographie. Le noir et blanc fait partie de notre mémoire, presque de notre inconscient collectif… son omniprésence va bien au-delà de la mode « vintage » qui a envahi l’univers de la photographie.

Brassaï, Robert Doisneau, Henri Cartier-Bresson, Sabine Weiss, Vivian Meier, Willy Ronis, Roger Schall, Robert Capa et tant d’autres, sans oublier plus près de nous Sebastiao Salgado, Helmut Newton, Karl Lagerfeld, Nick Brandt… ont tous travaillés essentiellement, voire exclusivement en noir et blanc.

La photo noir et blanc colle à la peau du photographe comme le pansement au doigt du capitaine Haddock… Il lui est quasi-impossible de se défaire de ses racines sans lesquelles il perdrait toute référence à son art. Pour construire, il faut des bases solides. Si le musicien pour progresser, doit en passer tôt ou tard par le solfège et les gammes, pourquoi le photographe échapperait-il à cet apprentissage ?

Mais cet attachement particulier à ce reliquat passéiste qu’est le noir et blanc peut également (et heureusement…), être compris pour son intérêt esthétique et graphique, tout comme sa capacité à déclencher une émotion ou une réflexion.
Il est légitime de se demander pourquoi la photo couleur ne déclencherait pas le même ressenti… Chaque photographe peut tenter d’y répondre à sa manière et avec ses propres arguments car il n’existe pas de réponse unique. Plus poétique pour certains, plus expressive pour d’autres, chaque photographe saura trouver les arguments justifiant son choix à présenter Sa photo en noir et blanc plutôt qu’en couleur.
Il y a de la place pour tout le monde dans un domaine aussi vaste que la photographie. Chacun déterminera ce qui fait la force de son image, les formes, la géométrie, la lumière, les contrastes…


Car au même titre qu’une photo ne se regarde pas comme un film, une photo noir et blanc ne se regarde pas comme une photo couleur. Si le scénario est bien écrit, le fil conducteur place le spectateur face à l’écran, dans une situation de passivité à recevoir et « ingurgiter » les images. La succession des prises de vues guidant les pensées, sur une voie plus ou moins imposée. Face à une photographie le spectateur se trouvera dans une situation tout à fait différente. Le scénario de la scène, l’émotion, le ressenti du contenu de l’image ne pourra être perçu qu’après un décryptage, une lecture attentive de la photo.

Comme on peut parcourir le journal ou s’immerger avec passion dans un article précis, le spectateur d’une exposition photo pourra simplement voir les œuvres ou au contraire essayer de les ressentir, de comprendre ce que le l’auteur a voulu montrer. Si le photographe s’évertue à placer un premier plan dans son paysage, à travailler son éclairage sur un portrait, ou à se coucher dans les orties pour mieux rendre en contre-plongée son papillon, c’est tout de même bien dans une attention particulière qui va, espérons-le au-delà de satisfaire son « égo ».

Avec la même logique, mais peut-être dans une moindre mesure, l’opposition entre une photo couleur et une photo noir et blanc peut expliquer cette différence du vécu. Celui du spectateur qui regarde une photo couleur diffère de celui qui essaie de comprendre le contenu d’une image en noir et blanc. Nous percevons la réalité en couleurs, elle s’impose à nous et nous ne pouvons que la subir, à la différence du monde parallèle noir et blanc, plus évocateur et source d’interprétations différentes.

Mais pour autant, il faut parfois se méfier à ne pas tomber dans le piège de la « carte postale ». Certes le ciel est bien bleu et l’herbe bien verte, mais quelle importance si le message est ailleurs dans la photo. La banalité des couleurs peut les dévaloriser. La couleur peut être un élément perturbateur dans la lecture d’une image, pouvant détourner le regard du sujet principal. C’est une question de priorité dont la réponse n’appartient qu’au photographe. Quand il y a de la couleur, on s’intéresse en général plus à celle-ci comme moyen de restitution d’une ambiance, d’une tonalité. En son absence (donc en noir et blanc), l’importance est donnée à la matière, voire à la texture par le jeu des ombres et des lumières.


D’autres vous diront que le noir et blanc va à l’essentiel en privilégiant par sa forme épurée (et donc plus graphique pour certains), les lignes, les volumes, et les contrastes. On pourra aussi entendre que le noir et blanc nous interpelle par la force et le mystère d’un monde parallèle, où le message se veut plus fort, plus poétique, plus dramatique.

L’expérience de la prise de vues permet de «sentir » le pourquoi et le comment du noir et blanc qui se réfléchit, se compose et s’écrit avec la lumière. L’écriture en noir et blanc, c’est une manière de raconter quelque chose autrement… La composition de l’image et le choix de la lumière doit aider à la lecture du sujet ; un contraste très fort entre le noir et le blanc, un choix de lumière douce ou au contraire dure, une gamme de gris nuancée.


 Si autrefois le noir et blanc était une contrainte technique, beaucoup de photographes de l’époque s’en sont affranchis en colorisant leurs tirages. La couleur faisait rêver… Les débuts difficiles de la pellicule couleur Kodachrome en 1935 s’expliquant, outre le coût beaucoup plus élevé, par le fait que les photographes se voyaient dépossédés de leur travaux en chambre noire, cette partie « magique » dans l’histoire de la photographie. De façon paradoxale, le noir et blanc s’est démocratisé grâce au numérique, tout en restant intimement lié à l’argentique à la fois dans l’esprit des puristes et du grand public. Le numérique permettant de recréer les qualités du noir et blanc argentique en post-production, grâce à des logiciels spécialisés.

Au fond, il ne s’agit donc pas de se faire écho d’un débat dépassé, d’une autre époque qui opposait le noir et blanc à la couleur, mais de comprendre ce que la conversion monochrome d’une image initialement en couleurs, peut lui apporter de plus. Plus de sens, plus de punch , plus de poésie, plus de force, plus de réalisme, plus de symbolisme, plus de drame… La liste est longue et au gré de chaque photographe.  

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Crédit photos par ordre d’apparition: Henri Cartier-Bresson, Robert Doisneau, Sabine Weiss, Willy Ronis, Robert Capa, Brassaï, Roger Schall, Sebastiao Salgado, Nick Brandt, Vivian Maier.

 

    

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